Cameroun / Démultiplication de la formation des formateurs en agroécologie
Du 27 au 30 janvier 2025, le Centre de Formation Professionnelle des Entrepreneurs et Exploitants Agricoles et Ruraux de la CHASAADD-M à Mfou au Cameroun a organisé une session de formation des formateurs en collaboration avec le Réseau International de Formation Agricole et Rurale (FAR) et le Laboratoire d’Études et de Recherches sur l’Économie les Politiques et les Systèmes Sociaux (LEREPS) de Toulouse. Objectif : expérimenter un référentiel de formation en agroécologie reposant sur la mobilisation des savoirs paysans. Retour sur la formation et les enseignements à tirer en termes d’ingénierie de formation.
Apprendre en faisant, en s’appuyant sur les savoirs paysans
Cette initiative a eu pour objectif principal l’expérimentation d’un référentiel de formation en agroécologie reposant sur la mobilisation des savoirs paysans. Ce référentiel, élaboré initialement par le LEREPS, a été animé par un binôme composé d’un formateur pédagogique et d’un professionnel détenteur de savoirs paysans. Choisis par l’équipe de la CHASAADD-M en fonction des préoccupations agricoles locales, ces savoirs ont porté sur la production de bio fertilisants, d’antibiotiques naturels et sur la réalisation d’un compost amélioré. La formation s’est adressée principalement à un public de futurs formateurs et de paysans relais aptes à essaimer les pratiques agroécologiques apprises durant la formation.
Cette session de formation visait à :
- Tester un référentiel de formation original basé sur un apprentissage par le faire. Il s’agissait d’évaluer l’efficacité et la pertinence d’un tel apprentissage, d’examiner en quoi il permettait aux apprenants de se saisir des connaissances transmises et de les transformer en moyens d’action. Plus généralement, l’objectif était d’éprouver la méthodologie choisie pour former des agriculteurs aux techniques de production durable.
- Renforcer les compétences de futurs formateurs de formateurs en les outillant de méthodes pédagogiques innovantes pour transmettre efficacement des savoirs et des pratiques en agroécologie.
- Promouvoir des pratiques agricoles durables respectueuses de l’environnement, car basées sur une réduction de l’usage de produits chimiques et le recours à des solutions naturelles.
Suivant le référentiel utilisé, la formation s’est déroulée en trois grandes phases :
Phase 1 : Les apprenants observent le professionnel
> Présentation théorique :
- Le professionnel et le formateur pédagogique commencent par introduire de manière synthétique les concepts clés de l’agroécologie, en mettant l’accent sur les avantages des biofertilisants, des antibiotiques naturels et du compost amélioré.
- Définition des mots clés du savoir transmis
- Identification et présentation des différents ingrédients utilisés et leur rôle
> Ateliers pratiques : le professionnel montre et le formateur explique les gestes du professionnel
Suite à ces apports ponctuels, le professionnel avec l’aide des apprenants collecte in situ les ingrédients naturels nécessaires à la fabrication d’un biofertilisant, d’un antibiotique, d’un compost amélioré et commence les manipulations. Pour chacune de ces pratiques agroécologiques, le formateur explique ses différents gestes et ses choix. Il répond également aux demandes de précisions des apprenants.
Phase 2: les apprenants sont placés en situation de faire
A leur tour, les apprenants, et pour chacun des trois savoirs préalablement montrés, sont chargés de réaliser en petits groupes les mêmes opérations observées. Ils doivent ainsi reproduire du mieux possible les gestes du professionnel, sous son regard critique et celui du formateur pédagogique. Ces derniers n’hésitent pas à corriger instantanément les façons de faire et gestes incorrects ou incomplets. Ils se tiennent par ailleurs disponibles pour répondre aux questions et autres préoccupations des apprenants.
Phase 3 : On fait le débriefing
Chaque fin d’activité, réalisée autour de l’apprentissage d’un savoir, se clôt par une restitution collective où chacun des groupes expose le processus de réalisation des opérations effectuées en indiquant ce qui aux yeux des apprenants a bien marché et ce qui pourrait être amélioré.
Quels résultats ?
Cette collaboration entre la CHASAADD-M, le Réseau FAR et le LEREPS témoigne de l’importance des partenariats pour le développement et la promotion de pratiques agricoles innovantes et durables.
Suite à cette formation, les formateurs sont désormais mieux équipés pour diffuser ces pratiques agroécologiques auprès des agriculteurs locaux. L’évaluation positive du référentiel ouvre la voie à son adoption à plus grande échelle, favorisant ainsi une transition vers une agriculture plus durable et respectueuse de l’environnement au Cameroun.
Chaque participant s’est engagé à organiser une séance de restitution dans son environnement dans les 6 prochains mois.
Quels enseignements en termes d’ingénierie de la formation ?
Au vu de cette expérimentation, mais aussi de celles similaires conduites dans d’autres pays africains (Bénin, Sénégal, Togo : voir https://www.ffase.org), il apparaît que la réussite de la démarche d’ingénierie de formation mise en œuvre dépend de la réunion de plusieurs conditions :
- En amont de la formation, il est essentiel que les personnes pressenties pour organiser et animer celle-ci (concepteurs du dispositif de formation, formateur(s) pédagogique(s), professionnel(s)) se coordonnent étroitement. Cette coordination, qui peut se réaliser en plusieurs étapes, est primordiale pour : (i) permettre une acculturation commune à ce dispositif de formation par le faire ; (ii) identifier le public et le territoire ciblés ; (iii) répartir harmonieusement les rôles entre le(s) formateur(s) pédagogique(s) et le(s) professionnel(s) ; (iv) définir le contenu de la formation, et notamment les savoirs paysans qui seront placés au cœur des apprentissages ; (v) déterminer les moyens logistiques, matériels (dont outillage) ; intrants (paille, fumier, végétaux, etc.) indispensables à la bonne réalisation de la formation.
- S’agissant des savoirs paysans, il est crucial de bien les choisir au regard des problématiques territoriales et des besoins du groupe d’apprenants. Ce sera par la suite un déterminant de la motivation des apprenants durant la formation.
- Concernant le(s) formateur(s) pédagogiques et le(s) professionnel(s), le choix est aussi capital. Le(s) premier(s) devra(ont) détenir des compétences pédagogiques et didactiques avérées. Le(s) second(s) devra(ont) détenir une parfaite maîtrise du(des) savoir(s) montré(s).
- Durant la formation, la coordination réussie entre le(s) formateur(s) pédagogique(s) et le(s) professionnel(s) est une clé essentielle du succès de la formation. Au premier revient la tâche d’accompagner et de dynamiser le groupe d’apprenants, de le questionner régulièrement, de synthétiser les apports principaux à l’issue de chaque phase d’apprentissage. Au second revient la tâche : (i) de montrer le plus finement possible les opérations et les gestes requis pour mettre en œuvre le savoir examiné et (ii) d’expliciter ses gestes les plus stratégiques.
- En fin de session, la phase consacrée au bilan est un moment-clé pour réfléchir aux perspectives individuelles et collectives ouvertes par la formation. Au cours de ce moment d’expression libre, il s’agit poser les bases d’un prolongement à donner à la formation en raisonnant par exemple les modalités possibles d’un suivi des apprenants et d’une réplication de la formation dans d’autres territoires et auprès d’autres publics cibles.
Edith Atangana
Centre de Formation Professionnelle des Entrepreneurs et Exploitants Agricoles et Ruraux de la CHASAADD-M à Mfou
edithat82@yahoo.fr
Jean-Pierre DEL CORSO
Professeur de sciences économiques ENSFEA/LEREPS
jean-pierre.del-corso@ensfea.fr