Plus de filles formées et insérées professionnellement : comment fait-on ?
Vous êtes responsable de centre de formation et souhaitez améliorer l’accès à la formation et l’insertion professionnelles des filles au sein de votre établissement ? Plusieurs pistes d’actions concrètes vous sont proposées dans cet article, extrait des résultats de l’étude opérationnelle menée par Fekama et Fert à Madagascar, pour plus d’égalité entre jeunes filles et garçons dans l’accès à la formation agricole et l’insertion professionnelle.
Consciente que dans la culture traditionnelle malgache les femmes sont généralement défavorisées quant à l’accès aux services et moyens de production agricoles, Fekama, la Fédération des collèges agricoles de Madagascar, s’est interrogée sur ses pratiques afin d’améliorer les chances des jeunes filles formées de persévérer dans leur formation et de réussir leur insertion professionnelle.
Depuis l’ouverture du premier collège agricole en 2003, Fekama observe que l’objectif de 30 % minimum de filles en formation dans ses collèges est difficilement atteint chaque année. Les taux d’abandon en cours de formation et d’abandon du projet professionnel par les filles à l’issue de leur formation sont aussi plus élevés que pour les garçons, bien que celles-ci soient généralement plus appliquées dans leur apprentissage et la mise en œuvre de leur projet professionnel agricole.
Fekama ambitionne donc d’augmenter la part de filles entrant en formation et réussissant leur insertion professionnelle. Avec l’accompagnement de l’agri-agence Fert, elle a pour cela confié la réalisation d’une étude à Mme Olga RASOALANDINIRINA.
A propos de Fekama
Fekama c’est 5 collèges agricoles à vocation régionale créés à l’initiative de Fifata, organisation paysanne faitière malgache (www.fifata.org) pour former des jeunes agricultrices et agriculteurs capables de :
- Mettre en œuvre des techniques améliorées, respectueuses de l’environnement et économiquement rentables
- Gérer leur exploitation et bien vivre de leur métier
- S’investir pour le développement de leur territoire
La formation dure 3 ans et s’adresse aux jeunes ruraux de 14 à 18 ans. Sur les 90 élèves en formation chaque année dans un collège, les filles représentent entre 28 et 30% de l’effectif.
Les jeunes sont accompagné.e.s dans leur insertion professionnelle par un conseiller spécialisé, porté par l’Organisation Paysanne Régionale (OPR) membre de Fifata dans la région concernée.
Chaque collège est administré par un « comité paysan » composé d’agriculteurs et agricultrices leaders des OPR afin d‘assurer la pertinence de la formation par rapport au contexte et faciliter l’insertion professionnelle des formé.e.s.
Cette étude réalisée entre avril et juin 2021 a permis d’identifier quelques axes de travail :
Pour augmenter le nombre de candidates à l’inscription dans les collèges agricoles :
- La scolarisation en internat est parfois source d’inquiétudes pour les parents et les jeunes filles. Il est important, par une communication spécifique, de les rassurer sur l’existence de dortoirs séparés entre filles et garçons avec surveillance jour et nuit ainsi que d’espaces préservant l’intimité des jeunes filles.
- L’implication de femmes, et en particulier de sortantes de promotions précédentes, dans la campagne de recrutement de futur.e.s élèves est à encourager afin de rassurer certains parents ou jeunes filles qui se sentiraient plus libres d’exprimer leurs préoccupations face à une femme.
- Afin de donner envie aux jeunes filles d’étudier dans les collèges agricoles Fekama, il est important de partager plus les success-stories de sortantes des collèges agricoles via la radio, la télévision, les réseaux sociaux …
Pour améliorer le bien-être en formation des jeunes filles et leur persévérance :
- La répartition des tâches ménagères (préparation repas, ménage…) et des astreintes et travaux pratiques sur l’exploitation agricole pédagogique en groupes mixtes, qui sensibilisent à l’égalité face à ces tâches, est une bonne pratique à maintenir.
- Les formateurs doivent continuer à veiller à ce que leurs pratiques et façons de communiquer avec les élèves n’engendrent pas d’inégalités de traitement (par exemple : ne pas dire « les filles vous rangerez le matériel car vous êtes plus soigneuses »).
- Dans la formation, prévoir des séances de sensibilisations pour les garçons et les filles aux droits des femmes et aux inégalités basées sur le genre rencontrées traditionnellement dans la vie quotidienne.
- Les activités extra-scolaires proposées dans les collèges mériteraient d’être plus diversifiées afin de s’assurer qu’elles satisfont filles et garçons.
- Les sensibilisations sur l’adolescence, la sexualité … sont bénéfiques, et donc à maintenir, ainsi que les partenariats avec du personnel de santé ou des associations spécialisées, qui sont appréciés et pertinents.
- Les formateurs ont besoin d’être régulièrement renforcés et accompagnés pour mieux accompagner les jeunes dans la période de l’adolescence.
« Les jeunes filles se sentent suffisamment à l’aise pour faire elles-mêmes des rappels à l’ordre à leurs camarades pour le respect mutuel entre filles et garçons au collège » (formateur au collège agricole d’Ambalavao, Haute Matsiatra)
Pour bien préparer l’insertion professionnelle :
- Des partenariats sont à tisser afin de développer des machines agricoles nécessitant moins de force (broyage, pressage, labour …) à l’image de la broucyclette développée par le Ceffel pour le transport de l’eau.
- Afin que les futures sortantes se sentent bien à l’aise pendant leurs stages en milieu professionnel, un plus grand nombre de tutrices de stage est nécessaire. Les anciennes élèves des collèges agricoles Fekama sont à privilégier afin qu’elles partagent leur expérience aux futures sortantes.
- Dès la formation, il est important de permettre aux élèves d’accéder à des activités para-scolaires qui pourront devenir des activités génératrices de revenus complémentaires à l’agriculture : cours de menuiserie, tenue de petit commerce, artisanat, coiffure …
- Les parents doivent être sensibilisés au droit à l’accès au foncier pour les filles et à l’importance de ne pas entraver la gestion des activités agricoles de leur enfant (garçon ou fille).
« Les ménages avec des sortant.e.s Fekama se distinguent des autres par rapport à leur capacité à développer des stratégies pour se préparer à la période de soudure comme la planification d’activités de culture et d’élevage qui génèrent du revenu pendant cette période. Aussi on constate que les époux échangent plus entre eux pour prendre des décisions. Mais parfois l’appui du conseiller en insertion professionnelle ou d’un leader expérimenté du village est nécessaire pour les jeunes sortantes face à leur mari.» (jeune sortant du collège agricole d’Ambalavao, Haute Matsiatra)
Pour un développement réussi du projet professionnel :
- Lorsqu’elles se marient, certaines jeunes sortantes sont contraintes par leur mari d’abandonner leur élevage de porcs, leurs activités de culture … et elles doivent se contenter des activités attribuées traditionnellement aux femmes : maraichage ou petit élevage. Fekama doit continuer d’inciter les sortants, et surtout les jeunes femmes, à développer des activités agricoles secondaires, notamment des activités à cycle court (petit élevage, culture de contre saison …).
- Les sortant.e.s des collèges Fekama ont la chance de pouvoir être accompagné.e.s par les leaders et les techniciens des Organisations Paysannes Régionales (OPR) membres de Fifata. Ceux-ci doivent encore renforcer l’accompagnement des jeunes filles après leur formation, surtout au moment de leur mariage en échangeant avec leurs futurs maris et en les sensibilisant afin qu’ils permettent à leur épouse de continuer pleinement leur projet professionnel.
- Les OPR peuvent aussi mieux accompagner les jeunes sortant.e.s à accéder à du foncier, via un accompagnement dans les démarches d’accès ou de sécurisation foncière.
- Les formations et autres réunions sont à concevoir en concertation avec les agricultrices pour tenir compte de leurs contraintes, pour en fixer l’horaire, la durée, le lieu. Par exemple, le matin, certaines femmes doivent s’occuper de leurs enfants avant l’école puis du repas du midi et des tâches ménagères, ce qui ne leur permet pas de se rendre en formation.
« Malgré la difficulté de certaines jeunes filles qui perdent une partie de leur dotation (aide coup de pouce à l’installation) lors de leur mariage, celles-ci valorisent toutefois les acquis de la formation au collège pour rebondir sur leur nouvelle exploitation. » (conseiller en insertion professionnelle pour les sortants du collège agricole d’Ambondromisotra, Amoron’i Mania)
Réussir le pari de former et installer un nombre croissant de jeunes filles qui deviendront des agricultrices professionnelles et des actrices de leur territoire est donc l’affaire de tous : centre de formation, organisations paysannes, parents … et se réfléchit dès la conception du centre de formation (place des dortoirs et sanitaires, nombre de places par dortoir …), puis dans le processus de recrutement des futur.e.s élèves : rassurer les parents et convaincre que les jeunes filles peuvent réaliser des grandes choses après une formation agricole. La formation elle-même ne doit pas générer d’inégalités liées au genre en offrant les mêmes possibilités à tous, et la vie en collectivité au centre de formation doit être un lieu d’apprentissage du respect des droits de chacun.e et du partage équitable des rôles entre sexes. Enfin, l’accompagnement des jeunes, et en particulier des jeunes femmes, dans le démarrage de leur vie professionnelle est crucial afin de leur assurer un plein succès. L’accès au foncier reste toutefois un enjeu de taille, pour lequel les OP ont un rôle de plaidoyer à jouer auprès des pouvoirs publics et des familles.
Retrouvez le résumé de l’étude sur le site de Fert
Nadège Kippeurt
Conseillère technique Fert
Plus d’informations :
n.kippeurt@fert.fr
pedagogie.fekama@gmail.com