Genre et CFAR / Retours de mission de stage #1
Elea Fournier et Adrien Safari reviennent d’une mission de 4 mois au Togo, où ils ont mené une étude comparative sur le genre dans six centres de formation agricoles au Togo. Ils réalisent leurs stages de fin d’étude au sein du Réseau FAR dans le cadre du master MOQUAS (Institut Agro). Avant leur soutenance de stage en octobre, ils nous partagent leurs impressions et les premiers résultats de cette mission de terrain. #1 Échanges avec Elea Fournier.
Qu’est-ce qui t’a particulièrement marqué pendant cette mission de terrain ?
Elea / Au cours de ce stage j’ai eu l’opportunité de visiter des centres dispersés dans tout le Togo. La diversité des paysages et des cultures de ce pays m’a profondément marquée. J’ai aussi été impressionnée par la quantité d’initiatives entrepreneuriales au Togo, et par ces centres de formation qui se sont installés dans les années 80, qui ont su relever les défis de leurs milieux, répandre leurs innovations, et œuvrer en faveur de leurs communautés.
Au-delà de cet aspect, l’accueil et l’intérêt pour le sujet du genre n’ont pas été unanimes. J’ai pu constater à quel point cette question peut susciter des réactions variables. Je n’oublierai pas l’intérêt qu’ont manifesté les centres de formations pour mon travail, et la confiance que m’ont accordé les jeunes filles et les femmes avec lesquelles j’ai eu la chance de m’entretenir !
Quelles sont les problématiques que vous cherchez à résoudre ?
L’objectif de la mission est d’améliorer la prise en compte des femmes et des filles dans la FAR. Il a fallu identifier les freins qu’elles rencontrent pour accéder et se maintenir dans la formation, et pour s’installer à l’issue de la formation. Ensuite il s’agissait d’analyser les résultats obtenus par les leviers mis en place dans les centres de formation, et par les autres acteurs de la FAR au Togo. C’est une étude comparative avec de multiples acteurs, qui doit aboutir à des propositions à différentes échelles : pour les CFAR, pour l’APCFAR qui est le réseau des centres de FAR au Togo, et pour le Réseau FAR.
Pour cela, je me suis appuyée sur une approche qualitative, et une organisation en plusieurs phases. D’abord, j’ai passé un mois dans chaque centre (3) à rencontrer les bénéficiaires (tous genres confondus) de la FAR, les enseignants et les personnes ressources des centres, mais également les acteurs liés au genre et à la FAR : les autres établissements d’enseignement, la société civile, les autorités traditionnelles, les organes décentralisés de l’Etat, etc. Le dernier mois de ma mission a été consacré aux rencontres institutionnelles avec les faitières des organisations paysannes, les ONG de défense des droits des femmes, et les Ministères liés à la thématique.
Pouvez-vous nous partager les premiers résultats de votre étude ?
Les pesanteurs socio-culturelles constituent la clé principale de l’analyse : elles conditionnent la perception de la FAR par les jeunes filles qui ont une vision dévalorisante du monde agricole et qui ne veulent pas s’orienter vers un métier d’homme pour lequel elles se jugent incapables. Au cours de la formation, la perception du genre par leurs homologues masculins, et par le corps pédagogique impacte les comportements : le manque de représentations les conduit à douter de leur orientation professionnelle, les infrastructures et l’ingénierie de la formation ne sont pas toujours adaptées à leurs besoins et les jeunes filles sont exposées aux violences basées sur le genre. Pour autant, elles sont moins nombreuses à abandonner que les garçons. Enfin, les jeunes filles font face à de nombreux obstacles au moment de s’installer. Bien que le droit moderne les y autorise, les jeunes filles sont souvent exclues de l’héritage des terres par le droit coutumier, elles ont un accès plus limité aux moyens de production, et nombreuses sont celles qui se marient à la sortie de la formation.
Parmi les leviers mis en place, la discrimination positive et les bourses au recrutement n’ont pas permis d’augmenter sensiblement le nombre de jeunes filles dans la formation et bien qu’un accompagnement privilégié soit mis en place pour les jeunes filles à l’installation (distribution de matériel, attribution de bourses, etc), elles sont peu nombreuses à vouloir et à réussir à s’installer en tant qu’entrepreneuses agricoles.
La formation des équipes pédagogiques au concept de genre est essentielle pour lutter contre toutes les formes de discrimination directe ou indirecte qui pèsent sur les jeunes filles au cours de leur formation. Se rapprocher des organismes spécialisés de la société civile fait partie des solutions, tout comme la promotion et la revalorisation du secteur agricole auprès des jeunes comme de leurs parents. Enfin, comme les ONG de formation et d’animation rurale le font auprès des hommes et des couples, il est nécessaire d’accompagner les jeunes garçons à comprendre les enjeux liés au genre.
Que t’a apporté cette expérience ?
Au cours de cette expérience j’ai pu vivre de l’intérieur la grande complexité des études sur le genre. Il y a tant d’acteurs à impliquer avec lesquels tant de choses sont à faire, j’ai trouvé cela passionnant ! Culturellement, c’est aussi très enrichissant et étudier ce sujet par le prisme de la formation et du développement questionne sur mon propre rapport au genre. Je pense avoir gagné en maturité et en diplomatie, ce qui m’a permis d’aborder sereinement des sujets parfois difficiles et d’être à l’écoute de chacun.e. Juste avant mon entrée dans le monde professionnel, ce stage vient confirmer une réflexion qui mûrit depuis longtemps : je souhaite œuvrer en faveur du genre et des minorités pour promouvoir un développement inclusif en mesure de faire face aux défis de la sécurité alimentaire et du changement climatique.
Elea FOURNIER
Stagiaire au Réseau FAR
elea.fournier@supagro.fr
Conscient de ce que la dimension du genre est primordiale pour l’efficacité de la Formation Agricole et Rurale, la gouvernance du Réseau FAR a réaffirmé dans sa stratégie 2022-2025 l’importance de cette thématique transversale. Une stratégie genre, élaborée collectivement, est en cours de construction.