Maroc / Analyse collective de l’entrepreneuriat des jeunes ruraux au Maroc (master MIFAR)
Le système de FAR est-il adapté aux besoins des acteurs ? Une question à laquelle les apprenants du master MIFAR ont tenté de répondre en analysant le système de formation – conseil – accompagnement de l’entrepreneuriat des jeunes ruraux au Maroc. Durant 12 jours, ces 22 professionnels de la FAR venus de 11 pays d’Afrique sont partis à la rencontre de jeunes, de femmes, d’agriculteurs, d’acteurs de la formation et du conseil agricole. Ils nous partagent leurs questionnements sur ce dispositif marocain qu’ils ont découvert, et qui nourriront sans conteste l’analyse de leurs dispositifs nationaux FAR.
Nous avons suivi du 14 au 25 novembre le module “Acteurs de changement dans un système de formation” du master MIFAR à l’École Nationale d’Agriculture de Meknès, à travers des enquêtes de terrain sur le territoire. C’était une première pour nous qui ne connaissions pas le Maroc. Nous avons ainsi mené une étude de 12 jours incluant une quarantaine d’enquêtes, avec forcément des conclusions partielles, qui peuvent être débattus.
Nous avons analysé le dispositif marocain de formation agricole et rurale, historiquement soutenu et piloté par l’État du Maroc, et fondé sur une couverture du territoire, du conseil technique de proximité, de la formation des cadres.
L’agriculture comme levier de développement national
En 2008, un changement important s’opère avec la stratégie du Plan Maroc Vert :
- Forte volonté de l’État de soutenir l’agriculture, avec deux piliers : agriculture productive, agriculture sociale
- Mobilisation importante de moyens et partenariat public privé
- Évolution vers la privatisation du conseil (agrégation ; organisations professionnelles)
- Adoption de l’approche par compétences dans la formation
- Résultats significatifs, surtout sur le pilier agriculture productive
Une nouvelle étape de changement s’opère avec la nouvelle stratégie Génération Green (2020-2030), avec le renforcement du capital humain et la pérennisation du développement agricole.
Dans ce contexte, comment le formateur peut-il être acteur du changement ?
Le système de Formation Agricole et Rural au Maroc constitue un outil de développement qui assure la promotion du monde rural pour un développement durable. Il est structuré, multi-acteurs, diversifié, avec une forte prééminence des structures publiques organisées autour du ministère de l’agriculture et une contribution du privé notamment dans le domaine du financement. Ses impacts sont divers : formation des jeunes qualifiés, renforcement des capacités des producteurs/ productrices, système d’irrigation, accès au financement, accès au foncier, renforcement de la résilience des systèmes de production.
Zoom sur deux acteurs techniques et financiers dans le dispositif FAR
La durabilité du système de FAR au Maroc suscite quelques questionnements :
Formation professionnelle
- Les ressources nécessaires à la mise en œuvre de l’approche par compétence peinent à être mobilisées depuis le Plan Maroc Vert. Cette situation est exacerbée par les ambitions de la stratégie Generation Green qui visent l’accroissement du nombre des centres et de l’effectif des encadreurs. Comment envisager la mise en œuvre cohérente de cette ambition ?
- L’absence d’un plan de carrière pour une meilleure valorisation des compétences des formateurs des centres de formation agricole (FI, FC et FPA) et la modicité du niveau de rémunération attribuée aux encadreurs, aussi bien permanents que vacataires, constituent une source de démotivation et une menace de durabilité. Quelles mesures d’amélioration sont possibles ?
- La formation professionnelle reste gratuite mais à terme, cette option est-elle durable ?
Conseil agricole
- Le financement du conseil agricole continue d’être essentiellement public, bien que la stratégie Generation Green prévoit un co-financement. Comment réussir à relever ce défi ?
- L’organisation du système d’irrigation est de plus en plus confrontée à certains goulots : des conflits latents entre acteurs, dont les forages touchent les nappes très profondes et les acteurs ayant les forages superficiels, présence des passagers clandestins qui continuent à forer sans s’acquitter de la redevance initiale exigée. Quelles réflexions et réorganisations pour corriger ces dysfonctionnements ?
- La stratégie Generation Green prévoit un effectif de 5 000 conseillers agricoles privés dont seulement 1 400 opèrent actuellement dans des conditions de formalisation, de rémunération, de contractualisation et d’exercice parfois frustrantes et démotivantes : comment envisager alors l’augmentation de l’effectif et l’amélioration des conditions pour permettre à ce corps d’assurer efficacement et durablement la relève du conseil agricole public ?
- Certains acteurs (cas de l’Office chérifien du phosphate/OCP avec Al mout mir comme bras opérationnel) mettent en œuvre le conseil de façon isolée avec une approche différente qui met parfois à mal la coordination générale du sous secteur : quelle mesure corrective envisager ?
OPA
- Un des axes de la stratégie Generation Green ambitionne de créer une nouvelle génération d’organisations de producteurs ayant une logique d’entreprise, doté d’un plan d’affaires et d’une vision stratégique, et sont créées pour la plupart avec l’optique de capter des financements. Comment y parvenir quand on sait que les coopératives existantes sont majoritairement dans la production, donc peu commerçantes. Si le soutien est orienté essentiellement vers cette nouvelle catégorie de coopératives, que deviennent les autres (de production) ?
- Le statut, la structure et le fonctionnement des OPA mettent en lumière quelques constats : les coopératives fonctionnent comme une collection d’individus libres et incapables d’évoluer en commun, portent en elle des germes d’exclusion (au mépris du principe d’adhésion libre et ouverte à tous), éprouvent des difficultés de formalisation et au cours de leur structuration progressive, elles préfèrent se regrouper au sein des GIE au détriment des unions : quelles sont les contraintes qui gouvernent ces choix ?
Agriculteurs
- Les questions liées aux récurrents problèmes relatifs aux aléas climatiques avec leur corollaire exprimé en termes de sécheresse de plus en plus fréquentes sont loin d’être solutionnées : Quelles mesures urgentes pour inverser la tendance ?
Femmes
- Les dispositions en matière d’accès au financement, d’accompagnement techniques et organisationnels n’ont pu faire de discrimination positive en faveur des femmes bien que celles-ci soient majoritairement analphabètes (90%) et financièrement moins nanties que les hommes. C’est une situation qui amplifient les inégalités hommes/femmes et qui nécessite des approfondissements. Quelles mesures de corrections préconiser ?
Jeunes
- La batterie de mesures relatives à l’accès au financement ne parvient pas à impacter la majorité des jeunes, notamment les plus démunis qui sont la principale cible en vue de rendre plus visible le développement centré sur l’humain tel que préconisé par la stratégie Generation Green. En cause, les conditions/procédures d’accès : Que faire pour inverser cette tendance ?
- Comment aborder la question du désintérêt de plus en prononcé des jeunes pour le secteur agricole ?
Fatma BEN SALAH
Apprenante MIFAR
Formatrice dans un centre de formation agricole en Tunisie (AVFA)
Pour la promotion 2022/2023 du master MIFAR.