[Paroles d’acteur] Bénin / « Anfanni, oser entreprendre »
“Nos compétences genre au sein de l’équipe projet ont progressé : l’expérience du projet Anfanni a fait évoluer notre perception de la thématique et sa contextualisation dans les zones d’intervention.” L’organisation suisse Helvetas Bénin a coordonné pendant 3 ans, avec l’appui des acteurs du territoire, le projet Anfanni dans le département de l’Atacora au nord-ouest du Bénin. A travers des formations en cascade, un accompagnement au réseautage ou encore des formations sexo spécifiques, le projet a cherché a renforcer l’employabilité des femmes et améliorer leur environnement économique. Avec des changements concrets sur les femmes et leur territoire, mais aussi sur l’organisation suisse, comme par exemple la démultiplication de points focaux genre.
Dans quel contexte se développe l’expérience ?
L’expérience a été menée dans le département de l’Atacora au Bénin, où 64% des ménages sont considérés comme pauvres à très pauvres. L’agriculture y est la principale pourvoyeuse de l’économie locale et n’est pas attractive pour les jeunes. Cette situation s’explique par les faibles productivité et rentabilité des activités agricoles dues à un déficit de formation agricole et rurale et aussi par un environnement économique défavorable au développement des petites exploitations, souvent familiales et dont la quasi totalité sont gérées par les femmes. Ces dernières, en plus des éléments de contexte sus cités, sont aux prises avec les réalités socioculturelles qui les empêchent de faire de l’agriculture une activité entrepreneuriale établie.
Le projet a connu une première phase qui a impulsé des changements systémiques dans des filières agricoles porteuses, surtout pour les femmes. La deuxième phase a travaillé à renforcer leur employabilité et à améliorer l’environnement économique.
Quelle est la période et la zone d’intervention de l’expérience ?
L’expérience a eu lieu pendant 3 ans, entre janvier 2017 et décembre 2023, dans le département de l’Atacora (Bénin).
Quels sont les acteurs principaux et leurs rôles ?
- HELVETAS Swiss Intercoopération, organisation de coopération au développement de droit suisse intervenant au Bénin depuis 1995, qui a financé et conduit l’expérience ;
- Les partenaires opérationnels de mise en œuvre (3 ONG locales) qui se sont occupés du renforcement entrepreneurial et coaching des jeunes femmes ;
- L’Agences Territoriales de Développement Agricole (ATDA), qui a assuré la promotion des filières agricoles ;
- Les Directions Départementales de l’Agriculture de l’Élevage et de la Pêche (DDAEP), qui ont assuré la coordination des interventions par département, le contrôle de qualité et le respect des normes ;
- Les systèmes financiers décentralisés, qui sont une source d’accès au financement pour les femmes ;
- Le secteur privé et acteurs professionnels (dont majoritairement les coopératives communales de femmes) ;
- Les communes (à travers les comités d’appui à l’insertion qui servent d’ancrage communal à l’expérience) ;
- Le collectif des artisans et chambre d’agriculture.
Quelles ont été les principales activités menées ?
L’expérience a consisté à identifier des jeunes femmes référentes en entrepreneuriat agricole. Elles ont été renforcées en capacité pour devenir des leaders afin qu’elles puissent à leur tour identifier et former d’autres jeunes femmes :
- Les formations en gestion d’entreprise. Elles sont formées aux rudiments usuels de gestion d’une exploitation agricole (outils et ressources) pour assurer la mise en œuvre et le développement efficients de leur activité économique ;
- Les formations techniques ITK suivant les métiers/filières agricoles concernées. Les jeunes femmes sont formées aux techniques de production et de transformation agricoles et agroalimentaires afin d’assurer la qualité de leurs produits sur le marché et les rendre attractifs compétitifs ;
- La facilitation du réseautage : Elles sont accompagnées à mettre en place/intégrer des dynamiques de réseau (coopératives et clusters) pour assurer la croissance de leurs filières d’intervention sur leurs territoires et au-delà (pénétration et maitrise des mécanismes de marchés d’approvisionnement et d’écoulement, maitrise de l’information et opportunités de développement) ;
- Les formations sexo spécifiques. L’engagement des hommes et des époux est promu et vulgarisé afin d’inverser positivement les perceptions sociales de l’entrepreneuriat des femmes dans les métiers agricoles dans l’Atacora. Il y a eu 2 éditions de la distinction “Maris modèles” afin d’encourager l”implication des époux dans le succès du parcours entrepreneurial des accompagnées.
Quels résultats avez-vous obtenu ?
L’expérience a permis de :
- accompagner 2 562 femmes à s’insérer professionnellement et à établir des micro-entreprises dans les métiers d’élevage (volailles, ruminants et porcs), d’apiculture, de maraîchage et de transformation agroalimentaire (karité, soja, baobab et arachide) ;
- organiser 2 éditions de la Journée Internationale des droits des Femmes (JIF), en 2022 et en 2023, avec un panel sur l’entrepreneuriat des femmes au Bénin (état des lieux, fonctions de la femme entrepreneure, contraintes, alternatives et approches de solution) et 2 expositions des femmes entrepreneures de l’Atacora, avec à la clé les distinctions BFA (Braves femmes de l’Atacora), remises par Mme le Préfet du département ;
- organiser 2 éditions de la Journée Internationale de la Femme Rurale (JIFR) en 2022 et en 2023, avec des panels et communications sur les femmes et le foncier rural, l’accès des femmes à la terre comme vecteur de l’égalité, le maintien des femmes dans l’entrepreneuriat agricole, etc. avec les collectivités territoriales aux débats et discussions ;
- organiser 2 éditions des concours de plans d’affaires en 2022 et en 2023 avec 12 femmes lauréates des prix de distinction ;
- organiser au profit des accompagnées 2 formations à l’utilisation d’outils numériques pour le développement de leur entreprise agricole (Whatsapp et Facebook) ;
- distinguer 20 époux d’accompagnées entrepreneures en tant que maris modèles.
Quels changements auprès des femmes qui ont été formées ?
- Amélioration des compétences en gestion d’entreprise : gestion de leur exploitation, optimisation des productions et commercialisation efficientes des productions ;
- Renforcement de la confiance en soi : les motivations et accompagnements moraux, les soutiens lors de la formation contribuent à renforcer la confiance des accompagnées, elles se sentent plus aptes à prendre des décisions et à relever les défis ; changement de mentalité et de rôles traditionnels.
Quels changements au sein de votre structure ?
- Une évolution des compétences genre au sein de l’équipe projet (l’expérience de ANFANNI a fait évoluer la perception de la thématique et sa contextualisation dans les zones d’intervention) ;
- L’introduction, grâce à l’expérience du projet ANFANNI de la création, en plus du référent genre du bureau pays, des points focaux genres au sein de toutes les antennes de HELVETAS au Bénin et de tous les partenaires de mise en œuvre, pour être plus sensible à la thématique, quel que soit le projet mis en œuvre ;
- Des formations genre à l’ensemble du bureau pays, toutes fonctions confondues.
Quels changements sur votre territoire ?
Les femmes entrepreneures ne se contentent pas de créer des entreprises prospères dans l’Atacora, elles contribuent au bien être de leurs communautés et sont des machines de sensibilisation aussi bien d’autres femmes que des hommes et du reste de la communauté sur les avantages de l’entrepreneuriat agricole féminin.
Les perceptions socioculturelles de la thématique évoluent. L’engagement des hommes, des garçons et des leaders d’opinion se fait de plus en plus perceptible dans un département aussi sujet aux pesanteurs socioculturelles que l’Atacora.
“Mon époux m’accompagne aux formations techniques et en gestion du projet ANFANNI comme la plupart des maris de mes consœurs”, Bertille, 32 ans, entrepreneure agroalimentaire.
Quels sont les conseils que vous donneriez pour mener une expérience telle que celle décrite ?
- Impliquer davantage le secteur privé local et les gouvernements locaux à la poursuite de la lutte contre les stéréotypes liées au rapport au revenu, à l’accès aux opportunités technologiques, à l’accès aux ressources naturelles, à l’accès aux dispositifs de mobilisations de ressources financières ;
- Toujours contextualiser l’accompagnement offert (les besoins en accompagnement ne sont pas toujours les mêmes d’un milieu à un autre pour toutes les femmes) ;
- Agir durablement sur l’écosystème en favorisant les conditions institutionnelles, celles du secteur privé et celles de la société civile ;
- Travailler à rendre plus inclusifs les femmes et encourager la diversité dans le recrutement, les formations, l’évaluation et la promotion des femmes entrepreneures ;
- Définir des cadres de mesure de performance et évaluer l’évolution de l’effet induit par l’accompagnement des femmes sur les facteurs accès aux marchés, accès aux financements, accès aux réseaux et aux autres opportunités.
Nathalie CHARBI
Helvetas Bénin