25
Sep
2024
[Paroles d’acteur] Maroc / Formation agricole des femmes pour un travail décent
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“Les femmes ont acquis des compétences sociales qui leur permettent de connaître leurs obligations et leurs devoirs, et de différencier un travail décent d’un travail non décent.” L’établissement d’enseignement technique de Larache (ITSA), au sud de Tanger, offre une formation par alternance aux femmes travaillant dans les champs de production de fruits rouges. Une initiative ancrée sur le territoire, associant organisme de formation, entreprises et exploitations agricoles, certificateurs et associations locales, qui dure depuis près de 12 ans. Plus de 3 000 femmes ont pu acquérir des compétences techniques, sociales et personnelles. La majorité d’entre elles bénéficient désormais d’une couverture sociale, et leur travail a été pérennisé.
Cette expérience est l'une des 24 initiatives innovantes de prise en compte du genre dans la formation agricole et rurale en Afrique qui a nourri le séminaire international Comment mieux prendre en compte le genre dans la formation agricole et rurale ?, qui a eu lieu du 17 au 19 septembre 2024 à Abidjan.
Toutes les expériences
Quelles sont les raisons qui ont conduit à cette initiative vis-à-vis des femmes ?
Plusieurs constats ont été faits :
- Les femmes travailleuses sont mal payées et travaillent dans des conditions difficiles physiquement (travail dur de récolte des fraises accroupies pendant toute la journée avec des caisses sur le dos – harcèlement par les chefs de groupes, etc.) ;
- Les femmes travailleuses se pérennisent rarement au travail et sont à chaque fois obligées de chercher d’autres lieux de travail et d’autres exploitations ;
- Les femmes travailleuses ont rarement des couvertures sociales (CNSS – AMO) ;
- Les chefs d’entreprises et d’exploitations agricoles passent par des intermédiaires (personnes physiques) pour le recrutement des femmes. Ces femmes sont sujettes à des harcèlements mentales et financiers voire même sont exploitées physiquement pour dénicher un travail.
Quelle est la période et la zone d’intervention de l’expérience ?
L’expérience a débuté en 2012 et continue jusqu’à maintenant. Elle se situe au Maroc, dans la région de Tanger Tétouan Hoceime – Périmètre de Loukous et Gharb.
Quels sont les acteurs principaux et leurs rôles ?
Partenaires techniques
- L’Institut des Techniciens Spécialisés en Agriculture de Larache (ITA), établissement public de formation agricole et rural ;
- Des associations locales qui œuvrent en faveur de travail décent des femmes dans les champs de production de fruits rouges : l’association RADEV, l’association Pateras de vida, l’association Mhashas pour le développement Humain, etc. Ces associations ont comme rôle la défense des droits des femmes et le contact direct avec les femmes travailleuses ;
- Des sociétés et bureaux d’étude : organismes privées nationaux et internationaux chargés de l’accompagnement pour la certification des produits d’exportation (COC – ISO – etc.).
Partenaires Institutionnels
- CNSS : Caisse nationale de sécurité sociale ;
- Anapec : Agence de la promotion de l’emploi.
Partenaires Financiers
- Coopération espagnole – OXFAM, etc.
Quelles ont été les principales activités menées ?
- Formation et renforcement de capacités techniques, sociales et personnelles des femmes travailleuses ;
- Intervention auprès des organismes certificateurs pour l’exigence de certificat de formation délivrée par l’organisme public ;
- Amélioration des conditions de travail des femmes et la mise à disposition des outils techniques facilitant le travail de récolte ;
- Instauration d’un climat de confiance et d’un partenariat gagnant-gagnant entre l’entreprise d’une part et les femmes travailleuses, l’établissement de formation et les organismes certificateurs d’autres part ;
- Intervention auprès des institutions publics pour faciliter l’inscription des femmes travailleuses à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et privilégier les femmes ayant bénéficié des sessions de formation et de renforcement de capacités ;
- Inciter les exploitations à pérenniser les femmes travailleuses formées et inscrites à la CNSS.
Quels résultats avez-vous obtenu ?
- Plus de 3000 femmes travailleuses ont bénéficié de la formation techniques, sociale et personnelle et ont eu leurs certificats de formation ;
- Plus de 1 500 femmes ont été inscrites à la sécurité sociale (CNSS) ;
- Plus de 2000 femmes ont été pérennisées dans leur travail ;
- Plus de 120 groupes de formation de femmes sont organisées et ont bénéficié de plus de 300 sessions de formation sur des domaines diverses :
- Techniques (méthodes de récolte, conditionnement et valorisation, etc.)
- Sociales (droit de travail et droit des femmes, etc.)
- Personnelles (hygiène, sécurité et environnement, grossesse, etc.)
- Plus de 30 partenariats construits avec les entreprises et exploitations agricoles ainsi qu’avec des certificateurs et associations locales.
Quels changements auprès des femmes qui ont été formées ?
- Les femmes ont acquis des compétences techniques leur permettant d’être sollicitées sur le marché du travail local, national et international (champs des fraises en Espagne) ;
- Les femmes ont acquis des compétences sociales leur permettant de connaître leurs obligations et leurs devoirs et de différencier entre un travail décent et un travail non décent ;
- Les femmes ont acquis des compétences personnelles leur permettant de mieux vivre (bien-être).
Quels changements au sein de votre structure ?
- Être connu en tant qu’institut de formation de qualité, mais également comme organisme de coordination, d’intermédiation et d’épanouissement des femmes travailleuses ;
- Contribuer au développement de son territoire.
Quels changements sur votre territoire ?
Les entreprises ont gagné du temps en pérennisant une main d’œuvre qualifiée et en gagnant la confiance des certificateurs pour l’exportation.
Quels sont les conseils que vous donneriez pour mener une expérience telle que celle décrite ?
- Être à l’écoute de toutes les parties prenantes pour bien identifier les problèmes et proposer les solutions adéquates et adaptables aux exigences de tous ;
- Travailler sur un petit groupe ou avec une seule entreprise et essayer au maximum de mettre en évidence les bénéfices de l’expérience avant de la dupliquer et de la proposer pour les autres ;
- Privilégier le contact direct et prioriser les réunions et les relations régulières plutôt que de se proposer comme partenaire financier ;
- Trouver les partenaires techniques, institutionnels voire même financiers pour vous faciliter la tâche ;
- Avoir beaucoup de persévérance et ne pas attendre rapidement les résultats.
Mustapha Lamrani
Formateur à l’ITA de Larache,
Vice-président Réseau FAR
lamrani_mustapha@yahoo.fr