[Paroles d’acteur] Programme inclusif de formation en agroenvironnement et en égalité des genres
“Les hommes prennent conscience des avantages d’impliquer leur femme dans les prises de décisions et la gestion des ressources familiales.” SOCODEVI, une structure d’appui aux coopératives et associations, a enrichi la méthodologie classique des Champs-écoles Paysans, en intégrant au volet agricole, les volets de protection de l’environnement et de l’égalité des genres. En proposant des formations en couple et un accompagnement personnalisé, les champs-écoles SOCODEVI constituent un programme inclusif de formation offert aux familles membres d’entreprises coopératives. L’expérience a été menée en Côte d’Ivoire et au Sénégal en 2021. Une transformation significative des rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes au sein du ménage est constatée.
Dans quel contexte se développe l’expérience ?
Différentes études réalisées (recensements nationaux et études de référence) nous ont montré que les régions de la Cote d’Ivoire, du Sénégal particulièrement en Casamance et à Thiès sont marquées par plusieurs réalités politiques, socio-économiques, et culturelles qui entravent les libertés et opportunités des femmes à s’autonomiser et exprimer leur potentiel. Ces réalités diverses exacerbent les inégalités de genre basées sur le sexe principalement mais aussi sur l’âge, l’appartenance ethnique, la situation géographique…
Les femmes au Sénégal et en Côte d’Ivoire demeurent largement discriminées et leurs droits ne sont pas pleinement respectés au regard de plusieurs facteurs :
- leur participation dans les processus décisionnels à tous les niveaux (familial, organisationnel, communautaire et politique reste très faible ;
- leur mobilité ;
- leur droit de disposer de leur corps ;
- leur vulnérabilité accentuée par les défis climatiques ;
- leur faible accès aux ressources productives (la terre, les matériels de production, les intrants, la formation technique, etc.) ;
- leur pouvoir économique faible qui n’inclut pas que leur faible accès à un revenu décent, mais également l’accès et le contrôle à toutes les composantes du pouvoir économique.
Bien que le manque d’informations, de formations, d’accès à des ressources soit au cœur des raisons qui perpétuent les inégalités entre les femmes et les hommes, le système patriarcal, la confrontation entre le droit moderne, le droit coutumier et le droit islamique et la persistance des stéréotypes sexistes infériorisent les femmes.
Par ailleurs, dans ces deux pays et particulièrement les zones où ce programme de formation est mis en œuvre, l’analphabétisme et le manque d’accès à la formation technique et professionnelle (notamment en regard des nouvelles méthodes de transformation, de gestion et de commercialisation) demeurent des défis sérieux pour le renforcement du pouvoir des femmes et l’affirmation de leur leadership transformationnel. Aussi, le dernier recensement dans l’agriculture au Sénégal a montré que l’analphabétisme des femmes était de l’ordre de 93% contre 70% chez les hommes. Cette situation handicapante pour les femmes détermine, en conséquence, leur place dans l’organisation du travail dans l’exploitation agricole.
Quelle est la période et la zone d’intervention de l’expérience ?
La formation des productrices et producteurs agricoles à travers la méthodologie des Champs Ecole SOCODEVI dure environ un an. En Côte d’Ivoire et au Sénégal, elle a débuté en janvier et a pris fin en novembre 2021.
En Côte d’Ivoire, l’expérience a été mise en œuvre dans la zone nord du pays (Korhogo) et à l’Est du pays (Abengourou).
Au Sénégal, l’expérience a été mise en œuvre en Casamance (les régions de Kolda Ziguinchor et Sédhiou) et à Thiès.
Quels sont les acteurs principaux et leurs rôles ?
De façon générale, plusieurs parties prenantes ont été impliquées dans le projet dans les deux pays. Il s’agit des femmes productrices agricoles et leurs conjoints, qui sont les bénéficiaires du programme de formation, des leaders communautaires et chefs coutumiers et religieux, des structures administratives, locales, des Ministres de la femme, du genre et de l’équité, des structures déconcentrées de l’État intervenant dans l’encadrement et la formation des productrices et producteurs agricoles.
Spécifiquement en Côte d’Ivoire, l’Agence Nationale d’Appui au Développement Rural (ANADER) a été un acteur principal dans le programme de formation à travers ses contributions techniques dans la mise en pratiques des connaissances et apprentissages par les productrices et les producteurs.
Au Sénégal, la FAO a beaucoup contribué de même que les ONG locales œuvrant dans le domaine de la lute contre les violences basées sur le genre (VBG) ont été fortement impliquées.
Quelles sont les principales activités menées ?
SOCODEVI a bonifié la méthodologie classique des Champs-écoles Paysans (CÉP), en intégrant au volet agricole, les volets de protection de l’environnement et de l’égalité des genres (ÉG), afin de répondre à certains défis spécifiques. Le programme des Champs-écoles SOCODEVI (CÉS) vise l’amélioration des connaissances et des pratiques des productrices et des producteurs, et comporte une large gamme de sujets à traiter et des objectifs ambitieux de transformation de comportements.
Le programme est destiné simultanément aux femmes et aux hommes des familles membres des coopératives appuyées et apporte de grands bénéfices et des résultats significatifs.
Le processus pour la mise en place et le suivi d’un programme de CÉS a été le suivant :
- Constitution de l’équipe qui conduit la méthodologie des CES ;
- Réalisation des diagnostics des chaînes de valeur ;
- Identification des objectifs d’apprentissage ;
- Développement, adaptation et validation des contenus ;
Dans le développement des contenus, l’information la plus pertinente et les éléments essentiels pour les apprenantes et apprenants sont priorisés. Il est conseillé d’adapter le contenu aux spécificités culturelles nationales et régionales, ainsi qu’aux chaînes de valeur appuyée par le projet. Une attention particulière est portée à la présentation du contenu (peu de texte, un langage accessible, beaucoup d’images, de dessins, de photos) et une communication inclusive et non sexiste est utilisée.
- Constitution des équipes de facilitation
La diffusion de la formation à travers la méthodologie des CES se fait en tandem homme-femme. Les tandems de l’équipe de facilitation/diffusion sont les porte-paroles du projet auprès des productrices et des producteurs. Leur sélection et leur formation sont donc des aspects importants du programme de formation aux CÉS.
- Constitution des groupes des Champs-écoles SOCODEVI
Pour la constitution des groupes de formation aux CES, des rencontres de mobilisation et d’information sont effectuées dans les communautés ciblées. Lors de ces rencontres, deux éléments sont essentiels à communiquer aux communautés : 1) faire connaître l’existence du projet et ses particularités et 2) susciter suffisamment l’intérêt des familles pour qu’elles aient envie de participer au programme de formation aux CÉS.
A la suite de ces éléments essentiels, Il faut constituer des groupes de 20 à 25 personnes, composés de femmes et d’hommes. La participation au programme de formation aux CES se fait en couple. C’est un facteur important d’intégration de l’égalité des genres dans les formations et dans les ménages.
- Diffusion des formations
Dès que le seuil de participation est atteint pour un groupe de formation aux CÉS (ventilé selon les critères d’admission femmes/hommes, jeunes ou autres), les activités peuvent être lancées. Les modules de formation élaborés comprennent des modules en agroenvironnement et des modules en égalité des genres. Chaque tandem de facilitation est composé d’une personne spécialisée en agroenvironnement qui se charge de la formation dans ce domaine, et une personne spécialisée en égalité des genres qui diffuse les modules en égalité des genres. A la fin du cycle de formation, des certificats sont décernés aux apprenantes et apprenants.
En marge des formations, les apprenantes et apprenants bénéficient de visites de suivi personnalisé et de coaching dans la mise en pratique des connaissances et aptitudes reçues. Ces visites sont faites par les personnes facilitatrices dans les plantations et les ménages des apprenantes et apprenants. Les activités de coaching démarrent dès la première formation aux Champs-écoles et se poursuivre jusqu’à la fin du cycle de formation.
- Suivi et évaluation
- Analyse des résultats et ajustements
Un atelier participatif avec l’équipe complète de facilitation, l’équipe du projet, quelques partenaires clés permet d’analyser attentivement les résultats et la performance des indicateurs de projet. Les bonnes pratiques et leçons apprises permettront d’ajuster le programme pour les prochaines formations.
Quels résultats avez-vous obtenu ?
Les programmes de formation ont intégré conjointement les aspects techniques et les sujets reliés à l’égalité des genres, y compris sur les masculinités positives. Les spécialistes ont diffusé 10 modules de formation en égalité des genres et 10 modules de formation en agroenvironnement, qui structurent le programme de formation.
Les ateliers ont été tenus dans les exploitations pour permettre de joindre la théorie à la pratique ce qui a permis de former au Sénégal 1051 personnes dont 700 femmes et en Côte d’Ivoire 1525 personnes dont 900 femmes. L’approche innovante basée sur la participation par couple/binôme dans les formations a été une clé de réussite pour promouvoir la participation de qualité des femmes avec un taux de participation des femmes atteignant 92,7%.
Ce programme de formation a eu plusieurs impacts positifs sur la construction des rapports égalitaires entre les femmes et les hommes, aussi bien dans les coopératives que dans les ménages. En effet, à l’issue du programme de formation, le nombre de femmes membres des coopératives de cacao et d’anacarde appuyées a augmenté. Par exemple, le pourcentage de femmes membres est passé de 0 à 49% dans la coopérative UCONAKO. Les femmes ont également intégré les instances décisionnelles des coopératives. A titre d’exemple, le pourcentage de femmes dans le conseil de délégué.es de la coopérative FAHO est passé de 0 à 33%.
Les évaluations du programme de formation ainsi que les témoignages recueillis montrent qu’à l’issue de la formation, les femmes ont amélioré leurs connaissances et aptitudes sur le genre, l’organisation coopérative, et leurs pratiques agroenvironnementales. Elles ont également acquis un leadership et ont davantage confiance en elles.
L’évaluation de fin de projet a montré que dans environ 97% des ménages, les femmes participent aux prises de décisions et environ 80% des femmes participent aux assemblées générales de leurs coopératives.
Quels changements auprès des femmes qui ont été formées ?
Les connaissances des femmes ont été fortement accrues et une transformation significative des rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes est constatée au sein du ménage grâce aux formations données et à l’accompagnement reçu tout du programme des champs écoles.
Aussi, une prise de conscience des hommes sur les avantages de l’implication de la femme dans les prises de décisions et la gestion des ressources familiales pour l’épanouissement familial et la cohésion sociale s’est accrue. En effet, les thématiques développées dans les volets Égalité des Genres, environnement et finance ont permis aux hommes et aux femmes de se rendre compte de la nécessité d’impliquer tout un chacun pour une gestion égalitaire qui prend en compte aussi bien les aspects économiques qu’environnementaux. Par exemple à travers le volet Égalité des Genres, les thématiques comme la communication, la prise de décision concertée et la participation de l’homme et de la femme dans la gestion du budget du ménage ont permis aux membres surtout aux hommes d’impliquer davantage les femmes dans la prise de décision des activités qui sont menées au sein du ménage. La confiance en soi et l’estime personnel qui ont été augmentés se sont démontrés sur leur intégration dans les instances décisionnelles et donc une plus grande expression de leur leadership est comptée parmi les résultats phares des CES.
Quels changements au sein de votre structure ?
Notre structure SOCODEVI appui les coopératives et associations dans le but de contribuer à améliorer leurs conditions de vie. L’égalité des genres se trouve particulièrement au centre de sa vision et sa misions sur le développement coopératif pour réaliser l’égalité des genres et le renforcement du pouvoir des femmes.
Les programmes de formation aux champs écoles SOCODEVI ont notamment permis d’amener les coopératives à intégrer les principes de gouvernance inclusives (atteinte de la parité dans les instances de décision, une hausse progressive du taux de participation des femmes à la prise de décision au sein de la coopérative, le nombre de femmes déléguées a augmenté impliquant une hausse du pourcentage des femmes membres qui participent aux assemblées générales des coopératives…). De plus l’amélioration des techniques et pratiques agricoles adaptées aux changements climatiques à induit des augmentatons de revenu de femmes ce qui améliore les conditions de vie et agit en faveur de l’autonomisation des femmes.
Les leçons apprises en fin de programme permettent aussi à SOCODEVI d’apporter des ajustements dans la structure du programme.
Quels changements sur votre territoire ?
Depuis l’avènement de la mise en œuvre du programme de formation aux champs école SOCODEVI, la problématique de l’égalité des genres a connu une visibilité dans les communautés et intègre désormais les pratiques des coopératives agricoles.
Quels sont les conseils que vous donneriez pour mener une expérience telle que celle décrite ?
- Il est important de construire une approche de formation basée sur une analyse des profils, besoins et réalités socioculturelles des communautés car le programme vise aussi des sensibilisations en EG qui touchent les croyances et les normes sociales ;
- Il est important de prendre en compte et d’analyser les aspects et facteurs sexospécifiques afin d’y adapter la définition et la programmation des activités. Cela favorise l’assiduité et la participation de qualité des femmes. Il s’agit par exemple de faire un bon choix des jours, des heures, des lieux, de déroulement des ateliers, (lieu accessible pour les femmes) ;
- L’implication des conjoints à travers la stratégie basée sur la formation en couple, l’implication des autorités locales et membres de la communauté donnent la confiance et élargit l’impact positif du programme ;
- La formation accompagnée d’un coaching personnalisé pour chaque personne participante à la formation facilite la mise en pratique des connaissances reçues ;
- Une mobilisation communautaire autour du programme de formation renforce l’adhésion des communautés au programme.
Ressources complémentaires
Rachel TCHEMA
Conseillère en égalité de genres
SOCODEVI, Côte d’Ivoire
r.tchema@socodevi.org
Bineta FALL
Conseillère Régionale en égalité des genres
SOCODEVI Sénégal
b.fall@socodevi.org