[Paroles d’apprenante] L’agroécologie dans les formations : quel impact sur l’insertion des jeunes ?
“Des liens très forts existent entre les formations sur les pratiques agroécologiques et l’installation/insertion dans l’auto-emploi/entrepreneur agricole“. Véronique Dansou a soutenu son mémoire du master MIFAR en octobre dernier. Coordinatrice d’un réseau de centres de formation agricole au Togo (APCFAR), elle a cherché à mesurer l’impact des enseignements en agroécologie sur l’insertion socio-professionnelle des jeunes apprenants des CFAR au Togo. Cette femme de tête et de cœur, pleinement investie dans la vie du Réseau FAR, nous partage ses impressions et les points clés de l’étude.
Quelle problématique avez-vous souhaité explorer ?
Au Togo, nous constatons que la plupart des apprenant.e.s issu.e.s des CFAR qui proposent des formations classiques s’orientent souvent vers des emplois salariés. En revanche, les apprenant.e.s sorti.e.s des CFAR qui forment en agroécologie s’installent dans la plupart des cas pour leur propre compte, créant leurs entreprises agricoles.
Ces constats sont complétés par les données du Réseau FAR au Togo, qui montrent que 116 000 apprenant.e.s sont formé.e.s par an dans les centres de formation agricole et rurale (CFAR) et plus de 48 000 nouveaux sont inscrits chaque année. Dans ce contexte d’arrivée massive de jeunes/apprenant.e.s formé.e.s dans les CFAR, avec un État qui ne pourra plus garantir les emplois salariés à tous, émerge la question centrale de recherche suivante :
Les enseignements sur les bonnes pratiques de l’agroécologie utilisées dans la formation ont-ils des impacts sur l’insertion socio-professionnelle durable des jeunes/apprenant.e.s s sorti.e.s des CFAR au Togo ?
Pouvez-vous nous partager les principaux résultats de votre analyse ?
A l’issue de cette étude, les principaux résultats obtenus sont les suivants :
- des liens très forts existent entre les formations sur les pratiques agroécologiques et l’installation/insertion dans l’auto-emploi/entrepreneur agricole. En effet, 86% de CFAR enquêtés (dont 75% spécialisés en agroécologie et 11% de CFAR avec formation classique) ont déclaré que les bonnes pratiques agroécologiques conduisent les apprenants sortis à s’installer dans l’auto-emploi ;
- les profils des apprenants formés en agroécologie sortis, installés ou non, sont : 65% « Entrepreneur agricole/Auto-emploi », 15% « En cours de création de son entreprise agricole », 7% « Salarié dans une structure privée », 6% « Chômeur/recherche d’emploi » et 3% « Salarié dans une structure publique » ;
- les spécificités des enseignements sur les bonnes pratiques d’agroécologie favorisant l’insertion concernent surtout : la préservation de la fertilité des sols, la production de différents de biofertilisants (solides et liquides) et le recours aux pratiques agricoles familiales ;
Avec la formation sur les pratiques agroécologiques reçues : l’utilisation de bouillon de cendre a arrêté l’attaque des insectes sur les plants de piments. Les gens du village ont constaté les bienfaits du bouillon de cendre chez moi et viennent même acheter et je n’arrive à satisfaire tout le monde à temps ». Lauréat sorti en mars 2024, producteur de maïs, riz et soja, 42 ans à Adjengré, dans la préfecture de Sotouboua, Région Centrale au nord du Togo.
- les jeunes lauréats déclarent et perçoivent le rôle déterminant de la formation en agroécologie dans leur insertion socio-professionnelle ;
Avec la formation sur les pratiques agroécologiques reçue, il y a maintenant moins de dépenses avant de réussir les cultures ; l’amélioration considérable de la production par rapport à l’utilisation des produits chimiques. Aussi, les produits bio se vendent mieux qu’avant quand nous faisions des produits avec les engrais. Avant, quand on utilisait les insecticides chimiques, on devrait prendre immédiatement le lait Peack et on avait mal aux yeux pendant au moins 3 jours. Lauréate sortie en 2020 et installée, productrice de 32 ans, mariée, mère de 2 enfants, à Notsè dans la région des Plateaux au Togo.
- les postures des enseignants/formateurs (accompagnements post formation, faire-faire, facilitateur/animateur, coach ou conseiller, implication des réseaux d’acteurs d’agroécologie, posture de mentor, posture d’écoute) et la pédagogie et la didactique pratiquées sont également déterminantes dans le processus d’insertion des jeunes dans l’auto-emploi ;
- la plupart des CFAR de statut privé enquêtés sont spécialisés uniquement en agroécologie et les CFAR publics font des formations classiques ;
- l’analyse du dispositif d’accompagnement à l’installation des jeunes lauréats au Togo montre qu’il est caractérisé par l’existence de plusieurs acteurs publics, privés et ONG mais les actions menées d’après les enquêtés sont mitigées et nécessitent plus de concertation/coordination pour assurer la durabilité.
Comment allez-vous vous approprier ces résultats dans votre pratique ?
Les recommandations/actions d’amélioration formulées sont les suivantes :
- assurer l’harmonisation des curricula/supports/outils de formation en agroécologie et leur utilisation dans tous les CFAR ;
- mener des actions de plaidoyer au niveau des deux ministères de tutelle de la FAR au Togo (Agriculture/MAEDR et Enseignement technique/META) pour l’harmonisation des curricula/modules/supports/outils de formation utilisés dans la formation en agroécologie et leur intégration dans les offres de formation des CFAR tant publics que privés et leur utilisation aussi bien au niveau des formations initiales/diplômantes qu’au niveau des formations continues/modulaires ;
- assurer la coordination dans les actions d’intervention des autres acteurs de la FAR et de l’ensemble du dispositif d’accompagnement pour aboutir à une insertion durable des jeunes ;
- partager les résultats et les recommandations issus de l’étude avec tous les acteurs de la FAR au Togo et dans les pays membres du Réseau FAR ;
- accompagner et appuyer la mise en œuvre des recommandations et des perspectives par le Réseau FAR.
L’aventure MIFAR, c’était comment ?
Très exigeante en temps et en énergie, pas du tout facile mais très intéressante et impressionnante. Car, on sort du MIFAR avec un autre regard sur ses propres pratiques professionnelles. A la fin du MIFAR, malgré toutes ses exigences, cela vaut la peine d’être vécu, puisque les capacités professionnelles sont nettement renforcées dans plusieurs domaines. On a un autre regard pour l’amélioration du dispositif de la FAR dans son propre pays car à travers les études de cas pratiques, on découvre les faiblesses de son pays dans le dispositif d’accompagnement à l’installation/insertion des jeunes formés. On dispose maintenant de leviers à proposer à tous les acteurs pour améliorer le processus.
Sur le plan social, le MIFAR crée une famille de professionnels qui sont très liés et développent une grande solidarité malgré la distance et les différents pays qui composent la promotion.
Véronique DANSOU
Coordinatrice APCFAR
Diplômée du master MIFAR
veronique452003@gmail.com