[Paroles d’expert] Un diagnostic pour rénover le dispositif FAR en République Démocratique du Congo
Martial Franck TAKAMGANG est l’un des sept experts mobilisés par le Réseau FAR pour conduire une étude de faisabilité pour un projet d’appui à la FAR, à l’échelle d’une province, en République Démocratique du Congo (RDC). Cette mission a été réalisée de mai à octobre 2021 à la demande des ministères et de l’AFD. Il revient pour nous sur les principaux enjeux de la FAR en RDC, sur le processus de construction de ce projet structurant et sur les points de vigilance à prendre en considération pour garantir une mise en œuvre efficiente.
Ingénieur agronome, option économie et sociologie rurales, et titulaire d’un Master II en ingénierie de la formation et des systèmes d’emplois. TAKAMGANG Martial Franck est depuis 2018, responsable de la composante institutionnalisation du dispositif national de formation et d’insertion rénové dans le cadre programme d’Appui à la rénovation et au développement de la Formation Professionnelle dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage et des pêches (AFOP) au Cameroun. Entre 2013 et 2018, il était responsable du volet appui à la mise en œuvre des formations dans les écoles professionnelles agricoles dans le même programme. Il a 8 ans d’expériences dans la formation et l’accompagnement à l’insertion professionnelles des jeunes en agriculture, élevage et pêche ainsi que dans la construction de l’offre et la demande de formation des producteurs et pêcheurs en activité.
Entre mai et octobre 2021, nous avons été mobilisés par le Réseau International Formation Agricole et Rurale (FAR) comme experts associés FAR au sein d’une équipe pluridisciplinaire de sept experts[1] pour la conduite de l’étude de faisabilité d’un projet d’appui, au niveau provincial, d’un réseau d’établissements de formation agricole et rurale (FAR) relevant du Ministère de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Technique (MEPST) et du Ministère de l’Enseignement Supérieur et Universitaire (MESU) suivant une approche intégrée, territoriale et inclusive en République Démocratique du Congo (RDC).
Qu’est-ce qui vous a marqué pendant cette mission?
Notre implication dans cette étude nous a donné l’occasion de mesurer l’ampleur des enjeux de la rénovation des dispositifs FAR des ministères sus-évoqués. En effet, nous avons été particulièrement marqués par les constats suivants :
- la forte densité de ces dispositifs en termes de structures de formation, sauf qu’elles peinent à fonctionner de manière optimale et plusieurs d’entre elles ne sont pas vraiment opérationnelles ;
- la faible attractivité de la FAR par rapport aux autres types de formation qu’offrent ces dispositifs ;
- la pluralité des offres de formation initiale en FAR, mais aucune n’adresse spécifiquement la formation initiale des producteurs et productrices. Ce qui contraste avec les réalités du contexte marqué par le vieillissement de la population agricole, le chômage et la pauvreté galopante avec un potentiel d’environ 80 millions d’ha de terres arables exploitées seulement à 10% ;
- l’absence de motivation chez les diplômés de ces dispositifs FAR à s’installer en agriculture,
- le faible ancrage territorial des structures de formation,
- la faiblesse des financements de l’État accordés aux structures de formation,
- la faible implémentation des orientations stratégiques et politiques prises en faveur du genre au niveau des structures des formations ;
- le faible niveau de capitalisation et de pérennisation des appuis des Partenaires Techniques et Financiers (PTF) en faveur de ces dispositifs.
Quelle était la finalité de l’étude ?
La finalité de l’étude de faisabilité était donc de proposer un dimensionnement du projet en termes de structures de formation bénéficiaires, d’axes d’intervention et de montage institutionnel et financier qui adresse ces enjeux dans la limite du cadrage budgétaire (8 Millions d’Euro) et du scénario d’intervention proposé par l’Agence Française de Développement (AFD) qui prévoyait entre autres, l’intervention du projet dans les provinces de la Tshopo et du Kwilu.
Parvenir à ce résultat a été une œuvre assez complexe dans la mesure où il fallait procéder à des arbitrages à différents niveaux, d’une part face aux attentes des acteurs à la base parfois surdimensionnées ou peu opérationnelles par rapport au cadrage du projet, et d’autre part face aux limites soulevées par rapport à certains choix stratégiques du scénario d’intervention proposé par l’AFD. C’est cette complexité qui faisait d’ailleurs toute la richesse de l’étude qui a débouché sur des résultats que nous jugeons satisfaisants dans la mesure où les partenaires institutionnel, technique et financier (MESPT, MESU, AFD, ENABEL) ont validé la quasi-totalité des recommandations qui en découlent, ce qui nous donne le sentiment d’avoir été utiles dans le processus en cours visant à améliorer la FAR en RDC.
Cependant, nous avons marqué notre étonnement par rapport au faible engagement de la partie institutionnelle (MEPST et MESU) au niveau du portage technique et financier du projet bien qu’elle ait validé tous les choix stratégiques proposés. Jusqu’à la fin de l’étude, le projet devait être financé à 100% par l’AFD à hauteur de 10 Millions d’Euro finalement, contre 8 Millions initialement prévus. Or leur positionnement à ce niveau pouvait augmenter la capacité du projet à répondre à la forte demande des acteurs et à l’immensité des besoins en appuis. Mais nous gardons l’espoir que les changements structurants attendus du projet au niveau des territoires bénéficiaires réussiront à les convaincre pour une appropriation et une mise à l’échelle de la rénovation engagée à « titre pilote » sur cinq établissements dans la province de la Tshopo, dont 4 instituts techniques relevant du MEPST et un institut supérieur relevant du MESU.
Quelles conclusions tirez-vous de cette étude ?
Nous trouvons les changements attendus du projet structurants, voire même ambitieux compte tenu des enjeux qu’il adresse, à savoir :
- L’amélioration du pilotage, de la gestion et de la gouvernance des instituts bénéficiaires en intégrant une dimension transversale genre ;
- L’amélioration de la qualité des formations développées en termes de contenus, notamment pour prendre en compte les enjeux de l’agroécologie et des changements climatiques, de modalités pédagogiques, d’infrastructures et équipements au profit des apprenants et apprenantes qui en bénéficieront de manière égalitaire ;
- L’accompagnement des apprenants à l’insertion socio-professionnelle en agriculture ou à la poursuite des études en tenant compte des besoins spécifiques des filles/femmes ;
- L’amélioration de l’ancrage territorial des instituts.
Nous osons croire que l’engagement et l’adhésion des acteurs observés au cours des diagnostics sur le terrain sera également observés dans la mise en œuvre du projet afin d’obtenir les changements escomptés.
Pour avoir participé à un tel processus, nous savons que la tâche sera ardue et c’est l’occasion pour nous de revenir sur un certain nombre de points de vigilance, surtout dans la perspective de la pérennisation des acquis qui est souvent reprochée à l’approche projet. Ces points de vigilance portent notamment sur :
- la sélection des cadres à enrôler dans le projet aussi bien au niveau des structures de formation qu’au niveau institutionnel. Elle doit faire l’objet d’un point d’attention compte tenu du caractère relativement instable et vieillissant du personnel constaté lors des missions diagnostics sur le terrain ;
- la nature de la collaboration entre Enabel qui assure la Maitrise d’ouvrage du projet et les partenaires institutionnels (MEPST et le MESU). Cette collaboration devrait s’inscrire dans une logique de renforcement des capacités des acteurs institutionnels et des territoires (structures de formation et partenaires locaux) avec une vision plus large de développement d’un socle de compétence interne au dispositif pour son pilotage, sa gestion et son animation en autonomie ;
- la mobilisation de l’assistance technique par Enabel pour la mise en œuvre du projet : leurs approches d’intervention devraient privilégier l’accompagnement, la co-construction et la capitalisation de l’existant au détriment du transfert des modèles pour une bonne appropriation du projet et de ses acquis par les bénéficiaires ;
- la promotion du genre. En effet 80% des structures de formation enrôlées dans le projet sont conventionnelles et des contradictions ont déjà été identifiées entre certaines actions envisagées dans le cadre de la promotion de l’aspect genre et le système de croyances promu, voire même institutionnalisé au sein de certaines de ces structures, sur lesquelles il faudra anticiper pour une adhésion durable des acteurs.
Martial Franck TAKAMGANG
francktakamgang@yahoo.fr
[1] Un Chef de mission, un expert national FAR, un expert associé FAR, une experte internationale genre, une experte nationale genre, un expert en programmation architecturale et un expert en analyse environnementale et sociale