Sénégal / Améliorer le sol pour la transition agroécologique
[Pratiques innovantes en agroécologie] Depuis 2010, le Groupement familial Global Key System cherche à développer une agriculture saine et durable, en limitant les intrants chimiques dans la production du riz dans le Delta du Fleuve Sénégal. Un processus de recherche action est mené en partenariat avec des opérateurs techniques et la recherche sénégalaise. Des expérimentations sont réalisées pour produire des fertilisants organiques en utilisant des matières premières disponibles sur le territoire.
Quels sont les constats de départ pour développer ces expérimentations ?
Partie du constat de la dégradation continue des sols, de l’utilisation abusive des engrais chimiques de synthèse et des dégâts (décès) occasionnés par la mauvaise manipulation des pesticides, j’ai décidé en accord avec les membres de ma famille d’orienter notre groupement vers une production plus saine et durable. Pour cela, il fallait produire nos propres fertilisants organiques. Notre principal objectif était de trouver une alternative à cette utilisation imprudente de ces engrais chimiques de synthèse.
Dans quel contexte se développe l’expérience ?
Le Sénégal est depuis plusieurs décennies un des plus importants consommateurs et importateurs de riz par habitant du monde. Il le sera davantage au cours des prochaines années à venir, eu égard à la pression démographique et l’urbanisation croissante du pays. Le riz est la principale céréale consommée dans les villes du Sénégal. Pour des raisons liées à la sécurité alimentaire des populations, la production du riz est devenue le créneau porteur d’espoir pour l’État et les acteurs de cette filière.
Pour l’atteinte des objectifs fixés et booster la riziculture, l’État du Sénégal a pris plusieurs mesures allant de la subvention des engrais chimiques de synthèses à la subvention d’heures de pelles mécaniques pour les aménagements et certains produits phytosanitaires, etc. Cet accompagnement a excité la course à la cupidité des producteurs rizicoles et a fini d’installer une insouciance caractérisée par des pratiques qui agressent gravement l’écosystème.
Depuis plusieurs années, la résistance des adventices aux pesticides est courante, une baisse des rendements est notée et pourtant la quantité d’engrais utilisée à l’hectare a augmenté. Pour le maraîchage, la situation est presque la même avec des tonnes de d’engrais et de pesticides déversées chaque campagne. Voilà en résumé, le contexte dans lequel le delta du fleuve Sénégal est confronté.
Quels sont les objectifs visés ?
Le groupement familial Global Key System a opté pour une agriculture saine et durable après avoir assisté à une série d’accidents mortels causés par une mauvaise manipulation des pesticides agricoles. Le groupement avait choisi de se limiter à la production du riz en premier. Après un voyage d’étude d’un ses membres en Asie, le groupement a décidé de changer de stratégie en s’orientant vers la diversification de ses activités.
Depuis une dizaine d’années, j’expérimente seul ou avec le groupement familial plusieurs types de fertilisants avec des résultats concrets. J’ai réalisé et testé plusieurs composts dont la matière première est suffisamment disponible dans cette zone. Ces expérimentations sont souvent portées par des groupements de femmes qui assurent les tests pratiques sur le terrain.
Depuis 2014, j’ai développé une série expérimentations sur l’amélioration de la fertilité des sols. J’ai réalisé la technique de compost en 15 jours. Pour la production de fertilisants organiques solides comme liquide, je suis à ma 4e année en collaboration avec l’UFR agro de l’UGB.
Quels sont les acteurs principaux et leurs rôles ?
- le groupement Global Key System. Au début de ce projet, seuls les membres de famille étaient impliqués, d’ailleurs certains se sont montrés un peu observateurs. C’est à force de les sensibiliser qu’ils ont fini par adhérer. Une partie des ressources du groupement a été affectée pour l’achat d’intrants (sacherie, matière première, etc.). La collecte de la matière première (bouse de vache dans certains cas) a fini par instaurer une collaboration entre les éleveurs (femmes et jeunes peulhs) et le groupement Global Key System.
- L’ASESCAW pour son apport en appui conseil continue à apporter son soutien aux différentes activités du GKS comme partenaire technique.
- La Fédération Nationale pour l’agriculture écologique et biologique (FENAB) est un partenaire technique qui soutient l’initiative et le groupement GKS.
- L’Université Gaston Berger (UGB) de Saint Louis dans le domaine de la recherche action depuis 2019. L’UGB à travers l’UFR Agro assure les tests agronomiques et l’analyse chimique des différents engrais et composts. Les résultats issus de tests agronomiques effectués par les étudiants pour les 7 types de composts sont sortis positifs.
Quelles sont les principales activités menées ?
- Identification et collecte de la matière première indispensable pour la réalisation du projet. Cette matière première doit répondre à un certain nombre d’exigences dont la disponibilité en qualité et en quantité, et l’utilisation de cette matière première doit contribuer à résoudre un autre problème environnemental. Par exemple les plantes envahissantes comme : le cornifle, l’azolla et le typha très commun dans cette zone du delta qui obstruent les canaux d’irrigation et drainage, empêchent la bonne circulation de l’eau dans les axes hydrauliques.
- Séances de tests sur réalisation du compost avec l’utilisation des différents techniques et qui prend en compte la durée de décomposition de la matière organique.
- Tests en milieu réel qui impliquent des jeunes stagiaires de la FENAB.
- Analyse et tests agronomiques des composts qui impliquent les Universités et les étudiants.
- Validation des résultats (étape non réalisée).
Comment a été prise en compte l’agroécologie dans vos activités de renforcement de capacités des producteurs et productrices ?
A priori même si la demande et l’offre de formation en agroécologie existent, les leviers pour mettre en marche cette collaboration semble être méconnue de tous. Très tôt, le Global Key System a compris les enjeux et la nécessité de nouer des relations partenariales gagnant-gagnant avec l’Université. La même stratégie a été développée avec AFRICA RICE pour les semences.
Certes le GKS a reçu plusieurs formations en agroécologie, cela a toujours demeuré une priorité pour les responsables, l’offre de formation dans les centres spécialisés reste très limitée au niveau national, le centre le mieux connu dans ce domaine est les jardins d’Afrique connu sous le nom de Centre Kaydara dans la région de Fatick, où certains de nos membres ont reçu une formation.
En termes de formation universitaire, le besoin reste réel pour les étudiants. Aussi, la collaboration entre producteurs (paysans) et universitaires reste très faible malgré le potentiel existant dans ce domaines. La seule exception nous vient de l’UBG avec le projet INNOV-ACSA qui met en relief le partenariat entre les collectivités territoriales, les structures techniques, certaines entreprises privées des groupements de promotion féminine et des universitaires. L’expertise paysanne, bien qu’existante, est mal connue et ne bénéficie d’aucun accompagnement. D’ailleurs les paysans n’ont aucune chance d’être formé ni accompagné en valorisation.
Quels sont les principaux conseils que vous donneriez pour mener une expérience telle que celle décrite ?
- Dans le cadre de la Formation Rurale, il faut accorder une place importante à la collaboration entre les institutions de formation et les EF organisées. Ce partenariat peut permettre de créer des conditions pour une meilleure valorisation des compétences endogènes ou empiriques des différents acteurs. Avec les institutions et centres de formation, ce partenariat doit être appréhendé comme une valeur ajoutée du fait qu’il peut augmenter la qualité de l’apprentissage professionnel des apprenants.
- Appuyer et accompagner financièrement les expériences plus ou moins réussies afin de faciliter les liens entre les systèmes d’innovation locale et la recherche scientifique.
- Sur la base de ce qui se fait ailleurs, encourager les visites de terrain et les voyages d’étude car, si le couper-coller en termes d’expériences n’est pas toujours parfait, il suscite souvent une certaine volonté d’innover.
- Appuyer le plaidoyer de la société civile, des OP, des ONGs et certaines structures pour que les décideurs étatiques accordent un réel engagement pour la transition agroécologique. Cette volonté doit se traduire par un certain nombre d’axes prioritaires dont on peut citer entre autres : a) Faciliter l’accès des exploitations familiales à des intrants organiques et des équipements agricoles pour accroitre la productivité agricole b) Protéger, valoriser et reconnaitre les semences paysannes.
Abdoulaye FAYE
Groupement Global Key System
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